Le Président décroché

Auteur du commentaire

Gilles Toulemonde
Maître de conférences en droit public
CRDP – l’ERDP (Université de Lille)

Date du commentaire

1er octobre 2019

Texte du commentaire

L’image du Président de la République a été l’objet de nombreuses actions juridictionnelles, qu’il s’agisse de la publication d’une photographie du cadavre de François Mitterrand sur son lit de mort (T. corr. Paris, 13 janvier 1997 ; D. 1997, p. 255) ou de la représentation de Nicolas Sarkozy en poupée vaudou (CA Paris, 28 novembre 2008 ; E. Derieux, « Poupée vaudou : liberté d’expression et de création et droit à l’image et à la dignité », JCP G, 2009.II.10026). Dans ces affaires précises, c’est l’atteinte à la dignité de la personne qui emporta la condamnation par les juges.

Mais l’image du Président de la République concerne aussi le respect dû la fonction, au-delà de celui dû à la personne. Sur ce registre, qui croise la question de la (parfois mauvaise…) réputation politique des Présidents, les attaques peuvent être virulentes. Il suffit de penser à la série de banderoles aériennes appelant à la démission de François Hollande qui avait marqué la première partie de son quinquennat ! Longtemps ces attaques ont pu faire l’objet de poursuites sur le fondement délictuel d’offense au Président de la République. Dès la loi du 27 juillet 1849, un tel délit est instauré pour défendre la fonction présidentielle qui venait d’être créée. Aux tout débuts de la IIIe République, ce texte a été très souvent sollicité lors de la crise du 16 mai 1877. Ainsi, un étudiant en droit qui avait publié un article dans lequel il racontait avoir vu le Président Mac-Mahon défiler sur son cheval et qui ajoutait : « il avait l’œil intelligent, je parle du cheval », a-t-il été condamné à un mois de prison avec sursis et 1000 francs d’amende (v. A. Zévaès, Au temps du Seize-Mai, éd. des portiques, 1932, p. 144). Repris par l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ce délit a innervé les IIIe, IVe et Ve Républiques et c’est même sous la présidence du général de Gaulle, dans le contexte particulier de l’accession de l’Algérie à son indépendance, que le texte a été le plus sollicité (v. O. Beaud, La République injuriée. Histoire des offenses au chef de l’État de la IIIe à la Ve République, PUF, 2019). Toutefois, le Parlement français a abrogé ce délit par une loi du 5 août 2013 (loi n°2013-711), et ce à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH, 14 mars 2013, Eon c/ France : au cours d’une visite de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, un syndicaliste avait été condamné pour offense au chef de l’État du fait d’avoir brandi un écriteau sur lequel était inscrit « Casse toi pov’con »). L’image du Président de la République n’est donc plus protégée aujourd’hui que par les seules infractions de droit commun, telles la diffamation ou l’injure.

Le portrait présidentiel quant à lui, chose mobilière au sens du droit civil, peut également faire l’objet des infractions de droit commun « contre les biens » (art. 311-1 et s. du Code pénal). Ce champ d’incrimination peut s’avérer utile pour les organes de poursuite notamment dans les hypothèses où il serait difficile, si ce n’est impossible, d’intenter des actions du chef de diffamation ou d’injure au Président de la République. Il ne faut dès lors pas s’étonner de voir aujourd’hui les parquets requérir sur les fondements de « vols », « vols en réunion » ou « vols avec ruse », à l’encontre de ceux qui se qualifient de « décrocheurs » du portrait officiel d’Emmanuel Macron.

Chaque Président de la République se fait tirer le portrait dans les jours qui suivent sa prise de fonction et la tradition républicaine veut que ce portrait soit affiché dans les mairies des communes françaises, même si aucun texte ne l’impose (rép. Min. n°48533, JO 14 juillet 2009, p. 7083 ; n° 125779, JO 10 avril 2012, p. 2883). Ce portrait est devenu l’occasion pour le Président de faire passer un message politique : Valéry Giscard d’Estaing affiche la modernité en troquant l’habit à queue de pie pour le costume et en abandonnant le grand cordon de la légion d’honneur ; Nicolas Sarkozy s’inscrit dans la tradition gaullienne d’une photo prise dans la bibliothèque, mais affiche son ambition européenne avec, pour la première fois, la présence du drapeau européen… Instrument de communication des Présidents de la République, le portrait présidentiel l’est aussi devenu pour ses opposants.

Ainsi des militants pour le climat ont-ils entrepris depuis le 21 février 2019 des actions de « décrochage » des portraits présidentiels installés dans les mairies. Plus de 120 ont disparu des mairies et ont défilé à Bayonne à l’occasion du G7 en août 2019. L’idée des « décrocheurs » est de symboliser le vide que représente la politique menée face à l’urgence climatique. C’est l’une de ces militantes qui a remis à François Ruffin le portrait d’Emmanuel Macron, « décroché » de la mairie du Ve arrondissement à Paris, quelques heures avant la première projection de son film « J’veux du soleil ». Le réalisateur prit l’initiative d’installer le portait sur un siège dans la salle, parmi le public.

Cet acte, susceptible d’être qualifié de « recel de vol », n’entraînera vraisemblablement pas de poursuites judiciaires en raison de l’immunité parlementaire dont jouit François Ruffin. En revanche, les actions de « décrochage » ont fait l’objet de poursuites. Si le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a, le 12 juin 2019, condamné les militants à des amendes allant de 500€ avec sursis à 250€ fermes, les tribunaux correctionnels de Strasbourg, le 26 juin 2019, et de Lyon, le 16 septembre 2019, ont relaxé les personnes poursuivies. Le juge lyonnais considère en particulier que le « décrochage » est « légitime » au regard de l’état de nécessité dans lequel se trouvaient les militants pro-climat. Une telle motivation, qui outrepasse largement la jurisprudence habituelle sur la notion d’état de nécessité, a elle-même été jugée militante par le parquet, qui a décidé de faire appel du jugement. Le parcours juridictionnel du portrait présidentiel n’est donc pas terminé.

Référence du support visuel

Portrait officiel du Président Emmanuel Macron lors de la projection en avant-première du film J’veux du soleil, placé sur un siège de salle de cinéma par le réalisateur et député François Ruffin, le 2 avril 2019 à Paris (anonyme, 2 avr. 2019, Paris)

Fichiers

Portrait du président de la République dans la salle de projection en avant première du film J'veux du soleil.jpg

Citer ce document

Gilles Toulemonde, “Le Président décroché,” Histoire litigieuse et contentieuse de l'image et de la photographie, consulté le 25 avril 2024, http://d-piav.huma-num.fr/items/show/13.

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