Des paparazzis déguisés en infirmiers : de la violation du domicile pour intrusion dans la chambre d’hôpital du patient

Auteur du commentaire

Johanne Saison
Professeur de droit public
CRDP - l'ERDP (Université de Lille)

Date du commentaire

1er octobre 2020

Texte du commentaire

Nombreux sont les contentieux relatifs aux atteintes à la vie privée de célébrités mettant en cause des paparazzis soucieux d’alimenter les magazines people. Ces images volées de personnes donnent classiquement lieu à des condamnations pour atteinte à la vie privée en portant atteinte à leur droit à l’image. Avant même l’adoption de la loi du 17 juillet 1970 introduisant dans le Code civil le droit de chacun au respect de sa vie privée (C. civ., art. 9), des décisions de 1965 condamnèrent des entreprises de presse pour la publication d’une photographie de Brigitte Bardot prise dans l’intimité de son existence au sein de sa propriété (T. Seine, 24 nov. 1965, JCP 1966, II, 14521, note R. Lindon).

L’image de Chantal Nobel, héroïne de la célèbre série télévisée « Châteauvallon » des années 80, la montrant sur son lit d’hôpital à la suite de la sortie de route, fin avril 1985, de la Porsche conduite par Sacha Distel, n’est qu’une illustration (CA Paris, 17 mars 1986, Assistance publique de Paris c/ Pachet et a.) parmi d’autres de l’atteinte à la vie privée constituée par l’image volée d’une personne vivante ou décédée (Cass. Crim., 21 oct. 1980, Jean Gabin, D. 1981, Jur. p. 72 ; Cass. Crim., 20 oct. 1998, François Mitterrand, Bull. crim. 1998, n° 264) ; l’atteinte au droit à l’image donnant lieu, aussi bien à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal, qu’à une action en responsabilité civile sur le fondement de l’article 9 du Code civil.

Les faits de l’affaire méritent que l’on s’y attarde tant les journalistes n’ont pas manqué d’imagination pour récupérer le cliché litigieux. Pour s’introduire dans la chambre de la patiente qui était fermée à clé, les auteurs se sont fait passer pour des infirmiers en utilisant une blouse et un passe-partout dérobés la veille par un complice. La Cour d’appel de Paris confirme la constitution du délit ; les prévenus ayant volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée de la patiente en fixant « l’image de l’actrice sur son lit, alors que celle-ci se trouvait dans un lieu privé et qu’elle n’avait pas consenti à cela ».

Pour rappel, l’article 226-1 du Code pénal condamne « le fait au moyen d’un procédé quelconque, de volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui (...) en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ».

Au-delà de la violation de la vie privée, l’affaire présente un intérêt particulier : celui de donner un statut juridique à la chambre d’hôpital. C’est d’ailleurs la jurisprudence encore systématiquement citée aujourd’hui pour évoquer la protection de la chambre du malade.

Bien antérieurement à cette jurisprudence de la Cour d’appel de Paris, les images volées du fils de Gérard Philippe sur son lit d’hôpital avaient déjà justifié la saisie des exemplaires de l’hebdomadaire France-Dimanche au motif qu’elles constituaient « une immixtion intolérable dans la vie privée de la famille » (Cass. 2ème civ., 12 juill. 1966, Bull. n° 778) sans que le juge ne se prononce explicitement sur le statut juridique de la chambre d’hôpital.

L’image litigieuse commentée fut donc l’occasion pour la Cour d’appel de Paris de préciser que « la chambre d’hôpital occupée par un malade constitue pour lui au sens de l’art. 184 du code pénal, un domicile protégé en tant que tel par la loi, qu’il occupe à titre temporaire mais certain et privatif et où, à partir du moment où cette chambre lui est affectée et pour tout le temps que dure cette affectation, il a le droit, sous la seule réserve des nécessités du service, de se dire chez lui et notamment d’être défendu contre la curiosité publique ». Cet article 184 du Code pénal, mentionné explicitement par la Cour d’appel de Paris, punissait à l’époque des faits « quiconque se sera introduit, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, dans le domicile d’un citoyen ». Cette infraction est actuellement reprise en des termes similaires à l’article 226-4 du Code pénal, lequel prévoit une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

La chambre du patient hospitalisé est donc assimilée à son domicile privé pendant toute la durée de sa prise en charge. Cette qualification emporte des droits pour le patient et des obligations pour l’institution hospitalière qui l’accueille. La personne hospitalisée peut ainsi recevoir dans sa chambre les personnes de son choix et demander qu’aucune indication ne soit donnée sur sa présence dans l’établissement ou son état de santé (C. santé publ., art. R. 1112-45). Elle a le droit à la confidentialité de son courrier, de ses communications téléphoniques, de ses entretiens avec des visiteurs et avec les professionnels de santé.

Les journalistes, photographes, démarcheurs et représentants de commerce ne peuvent accéder aux personnes hospitalisées qu’avec leur accord et sous réserve de l’autorisation écrite du directeur de l’établissement (C. santé publ., art. R. 1112-47). C’est ainsi que la réalisation d’un film portant sur la vie de jeunes adultes handicapés mentaux, autorisée par le directeur de leur centre d’accueil et les représentant « dans l’intimité de leur existence quotidienne à l’intérieur des établissements où ils vivent et ce, sans l’autorisation de leurs représentants légaux constitue, à elle seule, une atteinte illicite à l’intimité de leur vie privée » (Cass. 1ère civ., 24 févr. 1993, Bull. civ. I, n° 87). La protection de la vie privée de la personne rencontre ici celle de son intimité. La Charte de la personne hospitalisée (circ. du 2 mars 2006 rel. aux droits des personnes hospitalisées) rappelle ainsi que l’intimité du patient hospitalisé doit être préservée lors des soins, de la toilette, ou encore des visites médicales. On ne peut que s’offusquer des toilettes encore réalisées la porte ouverte en dénudant totalement le corps de la personne ou des intrusions répétées dans la chambre sans avoir préalablement frappé. Depuis, les textes ultérieurs ont intégré et étendu ces exigences de protection de la vie privée de la personne prise en charge au sein d’un établissement de santé, d’un établissement social ou médico-social et de respect de son intimité. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale garantit ainsi « à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux (…) le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité » (CASF, art. L.311-3) tandis que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé reconnaît à toute personne prise en charge par un établissement de santé le « droit au respect de sa vie privée » (CSP, art. L. 1110-4).

Référence du support visuel

Chantal Nobel sur son lit d'hôpital, en mai 1985 - Image partiellement floutée (photographie de presse / Paris Match n° 1876, éd. du 10 mai 1985)

Fichiers

Chantal Nobel sur son lit d'hôpital, publication Paris Match n° 1876 ; Image floutée.jpg

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Johanne Saison, “Des paparazzis déguisés en infirmiers : de la violation du domicile pour intrusion dans la chambre d’hôpital du patient,” Histoire litigieuse et contentieuse de l'image et de la photographie, consulté le 25 avril 2024, http://d-piav.huma-num.fr/items/show/18.

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