Pas de photographe pendant un procès pénal

Auteur du commentaire

Audrey Darsonville
Professeur de droit privé
CRDP – l’ERADP (Université de Lille)

Date du commentaire

1er février 2019

Texte du commentaire

Peut-on prendre en photo un prévenu durant son procès ? Jusqu’en 1954, photographier le prévenu à l’audience était autorisé comme en témoigne cette photographie datée de 1921 prise au cours du procès d’Henri Désiré Landru, condamné pour le meurtre de dix femmes. Les photographies durant l’audience sont désormais interdites comme le souligne l’actuel article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ce texte énonce en effet :

« Dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l’image utilisés en violation de cette interdiction.

Toutefois, sur demande présentée avant l’audience, le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.

Toute infraction aux dispositions du présent article sera punie de 4 500 euros d’amende. Le tribunal pourra en outre prononcer la confiscation du matériel ayant servi à commettre l’infraction et du support de la parole ou de l’image utilisé ».

L’interdiction pénale de photographier le prévenu a été rappelée récemment au magazine Paris Match qui avait publié en novembre 2017 la photo d’Abdelkader Merah lors de son procès devant la cour d’Assises de Paris. La photographie prise était donc illégale et a entraîné la condamnation du journal en juin 2018 (Tri. corr., Paris, 8 juin 2018), décision confirmée par la juridiction d'appel (CA, Paris, 7 février 2019).

Ainsi, les règles de droit sont explicites mais elles donnent naissance à une situation paradoxale. En effet, la prise de photographie et l’enregistrement audiovisuel de l’audience sont prohibés mais la réalisation de dessins est permise. Nombreuses sont les audiences auxquelles des dessinateurs vont donner vie en réalisant le portrait de la personne poursuivie, de la victime ou encore des magistrats ou avocats. Ces dessins sont diffusés dans la presse et participent à l’information du public sur les procès. Or, ces dessins sont souvent très précis et permettent de se faire une idée assez fidèle de la physionomie des personnes dont le portrait est ainsi brossé. Quelle est alors la logique d’interdire une photographie quand un dessin est autorisé ? Peut-être le dessin laisse-t-il une part plus grande à l’imagination du lecteur quand la photographie fige pour l’éternité, ne permettant plus à la personne photographiée de pouvoir modifier l’impression laissée durablement par ce cliché. Le même paradoxe existe avec l’interdiction de l’enregistrement audiovisuel d’un procès et l’autorisation donnée aux journalistes de relater en temps réel, notamment via twitter, une procédure. Même sans les images et le son, le public peut dorénavant se faire une idée précise du fonctionnement de la justice pénale.

La diffusion de dessins et de comptes rendus réalisés parfois en direct par les journalistes présents dans la salle d’audience garantit aussi le respect du principe de la publicité des audiences, principe consacré à l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés individuelles. La publicité des audiences est le moyen d’assurer la confiance des citoyens dans la justice pénale car ils peuvent assister aux audiences et vérifier que la justice est rendue de façon respectueuse des droits fondamentaux. Les informations transmises par les dessins et les comptes rendus d’audience publiés dans la presse sont des outils intéressants pour promouvoir une publicité plus large. Les citoyens qui ne peuvent pas se rendre aux audiences peuvent ainsi mieux comprendre et connaître la justice pénale et donc se forger un avis sur le fonctionnement du procès. En outre, cette diffusion massive aux citoyens est renforcée par la loi du 11 juillet 1985 (article L. 221-1 du Code du patrimoine) qui autorise, de manière dérogatoire, l’enregistrement des débats pour permettre la constitution d’archives audiovisuelles de la justice. Cette autorisation est délivrée pour les procès présentant un intérêt historique, comme le procès de Maurice Papon, ou les procès à caractère extraordinaire, tels que les procès de l’affaire du sang contaminé ou de l’explosion de l’usine AZF.

Pour conclure, l’absence de photographie lors de l’audience soulève deux interrogations. D’abord, est-elle légitime ? Elle est légitime pour préserver la sérénité des débats qui ne sont pas interrompus par des prises de photographies qui pourraient s’avérer intempestives pour certains procès médiatiques. Elle permet également d’assurer le respect de la vie privée des personnes qui seraient photographiées telles que le prévenu mais aussi la victime ou des témoins. Ensuite, l’interdiction des photographies est-elle préjudiciable pour le public ? On peut être réservé sur ce point, les dessins et comptes rendus permettant déjà largement une information du public sur un procès. De surcroît, la photographie n’est pas neutre car elle est un moment capturé du visage de la personne et contribue à construire une personnalité criminelle. Elle est aussi un choix artistique de son auteur et donc une démonstration d’un point de vue. La photographie de Landru en est la parfaite illustration. Celui qui avait été surnommé par la presse le « Barbe-Bleue de Gambais », paraît sur le cliché conforme au « monstre » construit par la presse. La photographie montre le visage de Landru et son regard fixé sur l’auteur du cliché est glaçant. Difficile en regardant cette photographie de ne pas trouver Landru inquiétant, voire effrayant. L’interdiction des photographies durant l’audience paraît alors légitime pour éviter de construire ou de conforter dans l’opinion publique une perception négative de la personne qui est encore, au moment de son procès, présumée innocente.

Référence des supports visuels

Landru durant son procès (photographie de presse / agence Rol, 1921, Paris, BnF, département Estampes et photographie)

Abdelkader Merah dans le box des accusés, entouré de ses avocats - Image floutée (photographie de presse / Paris Match - DR, 2017, Paris, Paris Match, éd. du 9 novembre 2017)

Fichiers

Fichiers

Photo salle d'audience - procès A. Merah floutée ++.jpg

Citer ce document

Audrey Darsonville, “Pas de photographe pendant un procès pénal,” Histoire litigieuse et contentieuse de l'image et de la photographie, consulté le 10 décembre 2024, http://d-piav.huma-num.fr/items/show/9.

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